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Le Postier de Charles Bukowski


« Toutes les nuits je rentrais chez moi malade et avec le tournis. Il me tuait rien qu’au son de sa voix. [...] Je me souvenais de toutes les places où j’avais travaillé. A chaque fois, le toqué était pour ma pomme. Je leur plaisais. »


La France a découvert Charles Bukowski (1920-1994) le jour où il fût vigoureusement évacué par François Cavanna du plateau de la vénérable émission Apostrophes de Bernard Pivot pour avoir descendu au goulot une bouteille et tenu des propos désobligeants à une autre invitée, Catherine Paysan. Il en fallait pourtant beaucoup pour faire sortir de ses gonds le fondateur du journal satirique Hara-Kiri et compère peu avare en gauloiseries du Professeur Choron, si ce n’est peut-être à la télévision. Il faut dire que c’était en 1978, à une époque où le petit-écran était plus sage.


Considéré comme l’un des chefs de fil de la contre-culture américaine, Bukowski connait un vif succès en France et en Europe notamment grâce aux incidents d’Apostrophes qui ont eu le mérite de le populariser de notre côté de l’Atlantique. Finalement son aura deviendra même plus importante sur le Vieux Continent que dans son pays. Et on peut aisément deviner pourquoi, tant il égratigne le mythe du rêve américain à travers les tribulations de ses personnages, tous alter-egos de papier. Lui-même né en Allemagne et arrivé en bas âge aux Etats-Unis, son enfance est marquée au fer rouge par la violence de son père, victime comme beaucoup de la crise économique, ce qu’il raconte de manière poignante dans Souvenirs d’un pas grand-chose. S’il n’a pas eu un démarrage facile dans la vie, la suite ne s’avèrera guère plus reluisant ; la médiocrité régira son existence jusqu’au bout, la reconnaissance ne changeant pas grand-chose à une gueule de bois devenu depuis longtemps chronique. « Les chiens ont des puces, les hommes des emmerdes ».


Les petits boulots, les femmes, les bars, l’alcool bon marché, les courses de chevaux forment la substantifique moelle de l’œuvre d’un perdant, qui est loin d’être une exception aux pays des golden boys. Le Postier, paru dans sa version originale en 1971, n’échappe pas à la règle. Certes les mots sont crus, mais ils ont une véritable musicalité, les instincts sont bas, mais c’est aussi ce qui donne à ce roman toute son humanité, faible lueur dans la misère ordinaire d’Hank Chinaski, l’anti-héros libidineux et aviné. De sa voix unique, qu’on imagine rocailleuse à force de tabac et de libation, il raconte une autre Amérique, son Amérique, lui le casanier, qui une fois les émoluments de ses écrits suffisants, rechignait à quitter sa piaule, si ce n’est pour se hisser au comptoir d’un bar ou s’approvisionner au liquor store le plus proche.


Petit-fils préféré de Priape, il inaugure naturellement avec ce récit autobiographique empli d’humour et de mauvaise foi ravageurs les GROS mots de la médiathèque.


Pierre