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La Tour d’amour de Rachilde


« Je demeurais assis sur le pont du Saint-Christophe, regardant stupidement la mer qui me hurlait des choses canailles. Le grand air ne me dégrisait pas. Je me croyais toujours le seigneur d’une maison bâtie en forme de tire-bouchon, et qui allait perforer le ciel à la seule fin d’en faire ruisseler des averses d’eau-de-vie anglaise. »


Rachilde, de son vrai nom Marguerite Eymery, a rejoint en 1952 la longue liste des écrivains oubliés quand elle décède à l’âge vénérable de 93 ans dans l’anonymat pratiquement complet. Elle fut pourtant l’une des personnalités « Fin de siècle » les plus en vue, son salon, qu’elle tenait dans les bureaux-mêmes du Mercure de France, dont elle avait épousé le directeur Alfred Valette, pouvait compter sur la crème de l’avant-garde littéraire : Guillaume Apollinaire, Pierre Louÿs, Emile Verhaeren, Stéphane Mallarmé, Joris-Karl Huysmans, Jean Lorrain, Francis Carco ou encore Oscar Wilde, pour ne citer qu’eux.


Parmi ce prestigieux et sulfureux cénacle, Rachilde n’en était pas « l’homme de lettre », comme elle aimait à se qualifier, le moins doué et excentrique. Si la postérité a gardé un lointain souvenir d’une femme aux mœurs contraires à la morale, elle s’habillait notamment en homme et obtint à cet effet une permission de travestissement de la préfecture de police pour éviter toute poursuite judiciaire, c’est bien pour sa qualité d’auteur plutôt que de salonnière au parfum venimeux du scandale qu’elle mérite d’attirer l’attention d’une nouvelle génération de lecteurs.


Son œuvre, comptant une bonne soixantaine d’ouvrages, est largement imprégné de son goût pour l’inversion et le bousculement de l’identité sexuelle. Son roman Monsieur Vénus (1884), qui lui valut un succès retentissant malgré son propos, raconte la liaison d’une aristocrate dominatrice et d’un fleuriste féminisé par cette dernière. Autant dire que le roman, où se déploie pleinement cet érotisme nimbé d’ironie perverse qu’affectionnait Rachilde, heurtait quelque peu la morale de la Troisième République. Dans son chef-d’œuvre, La Tour d’amour (1899), intense huis clos prenant place dans le Phare d’Ar-Men, où la violence des éléments déchaînés se dispute à l’isolement l’infusion de la folie dans les esprits du vieux gardien de phare et du Maleux, homme au passé trouble venu se faire oublier à l’extrémité de la chaussée de Sein, Rachilde a créé un langage artificiel mais crédible, réussissant l’alchimie ô combien délicate du parler populaire et de la littérature, une hybridation toute à son image.


Pour la petite histoire, l’Alsace et les Alsaciens n’ont pas été épargnés par la plume ravageuse de Rachilde. Dans son roman à forte teneur autobiographique La Marquise de Sade (1887), l’héroïne, à l’image de l’autrice, vit quelques temps à Haguenau où son père officier est en garnison. La description des gens du cru vaut son pesant de choucroute, elle n’y va pas avec le dos de la cuiller, et donne une bonne idée du style outrancier et retord dont Rachilde était capable. D’excellents gros mots en somme!


Pierre